Par Sibel Yamak, Professeur de management à l'Université Galatasaray (Turquie)

Mardi 26 mai 2015
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La Turquie est un pays en plein développement qui s’intègre peu à peu sur les marchés mondiaux. Mais en Turquie, l’Etat reste omniprésent et domine les élites économiques. En effet, les élites managériales turques peuvent participer à la vie politique, et assurer leur développement économique, mais elles restent étroitement surveillées par l’Etat. Leurs ambitions politiques sont donc limitées par la crainte de sanction. 

Dans le contexte d’une société organisée autour d’un Etat autoritaire, au détriment de l’acteur individuel, les élites du monde des affaires se positionnent différemment. Quatre groupes ont ainsi été identifiés :

Les élites menacées, ou les mal-aimées : elles voient l’Etat comme une menace car elles ont déjà été durement touchées par ses actions, elles ont subi son indifférence ou ses punitions. Il s’agit plutôt des anciennes élites.

Les élites qui critiquent l’Etat et le système : elles combattent notamment la corruption, qui soumet les élites économiques à l’Etat dans le but de protéger ses propres intérêts.

Les disciples modérés : cette partie de l’élite managériale est satisfaite de sa relation avec l’Etat. Principalement issue des nouvelles élites, elle a le sentiment qu’un dialogue est possible avec l’Etat et que celui-ci écoute et comprend ses demandes.

Les disciples assidus : ces élites sont très favorables aux politiques du gouvernement, elles agissent presque en tant que porte-paroles de celui-ci. Elles proviennent des nouvelles élites, qui sont nées du fait de la croissance des entreprises de taille moyenne.

Les élites managériales turques ne forment donc pas un groupe homogène. Du fait de ce manque de cohérence, leur pouvoir relatif à l’Etat est réduit. L’Etat, lui, favorise les élites qui lui sont proches en termes d’idéologie et d’intérêt. En conséquence, les élites turques sont généralement méfiantes vis-à-vis de la politique et des hommes politiques. Certaines parviennent à éviter la domination de l’Etat, lorsqu’elles ont une double nationalité et placent leur investissement dans un autre pays, lorsqu’elles mondialisent leurs opérations ou encore lorsqu’elles sont à la tête d’entreprises multinationales.

Le cas de la Turquie montre que la mondialisation est un outil bien limité pour échapper à la domination de l’Etat. On peut faire la même observation dans des pays autres que la Turquie : en effet, dans la majorité du Moyen-Orient et en Afrique du Nord, les élites managériales sont confrontées à des problématiques similaires dans leurs relations à l’Etat.

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