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La French Tech en fait-elle trop ?
Posté le 31/01/2018 par Patrice Geoffron
Le nombre impressionnant de start-up françaises présentes au CES 2018 donne l'impression que la France est une nation en pointe de la tech. Hélas, la réalité est différente.
Le Consumer Electronic Show 2018 (CES 2018) vient de refermer ses portes à Las Vegas. Les exposants français y composaient la troisième « délégation » - derrière les Etats-Unis et la Chine - entreprises grandes et petites, régions et métropoles étant dix fois plus nombreuses qu'il y a cinq ans.
Il est tentant de lier cette dynamique au volontarisme successivement traduit par l'avènement de la French Tech sous François Hollande en 2013 et la mobilisation générale de la Start-up Nation par Emmanuel Macron depuis. D'autant que, dans ce panorama, un chiffre impressionne : dans l'espace du CES 2018 dédié aux start-up (le bien-nommé « Eurêka Park »), les jeunes pousses françaises étaient presque aussi nombreuses que les américaines (275 contre 289), tandis que les chinoises n'étaient que 50, les britanniques 30 et les allemandes moins de 20.
Mais une telle profusion peut tout aussi bien révéler le succès... que l'emballement d'une stratégie French Tech qui vise, rappelons-le, à « renforcer la lisibilité et la cohérence des actions publiques en faveur des start-up ». Tentons de démêler les indices pour comprendre cet afflux de jeunes pousses placées sous le haut patronage du coq rouge (emblème de la French Tech).
Pas que du « story telling »
Soulignons tout d'abord que la qualité de nombre d'entre elles a été reconnue : une trentaine ont bénéficié de nominations dans les différents concours du CES 2018, et deux ont été primées (Blue Frogs Robotic pour un robot domestique et Lancey Energy Storage pour un radiateur « intelligent »). Et, même si la présence française a été dispersée en une vingtaine de catégories, la densité dans le domaine de la maison connectée, de la santé et des transports signale des domaines d'expertise.
Surtout, cet élan de la French Tech n'est pas qu'un phénomène de « salon », les jeunes pousses tricolores ayant levé près de 2 milliards d'euros en 2017 (selon Capital Finance), dont une centaine d'opérations bouclées à 5 millions et plus, catégorie en progression de 50 % sur un an.
Mobilisation générale oblige, BPI France a acté l'engagement public dans nombre de tours de table (dont le plus important de 2017, Actility, spécialiste de l'Internet des objets, 70 millions), celle des grands groupes industriels étant assurée par leurs fonds venture (présents dans 25 % des tours de table supérieurs à 5 millions).
Si l'on considère la profusion d'incubateurs, Station-F en tête, d'écoles d'ingénieurs excellentes ou robustes, la concurrence des régions et métropoles pour créer des écosystèmes à leur échelle, il est aisé de se convaincre que la French Tech ne procède pas que du « story telling ».
Plafond de verre
Mais évidemment pas au point de s'enflammer et d'imaginer que les jeunes entreprises françaises pèsent réellement un tiers des innovations portées par des start-up dans un salon mondial de premier rang... Au niveau européen, pour l'heure, les levées de fonds françaises ne percent pas le « plafond de verre » des 100 millions d'euros, contrairement aux jeunes pousses britanniques (qui ont réalisé 8 opérations comprises entre 100 et 500 millions en 2017).
Il en est de même pour les « licornes » (jeunes entreprises valorisées à plus de 1 milliard) qui se comptent sur les doigts d'une main en France, mais sont une quinzaine outre-Manche et une dizaine outre-Rhin (selon Invest Europe).
Surtout, la capacité d'innovation doit être appréciée au-delà de la comptabilité du nombre de start-up. En matière d'innovation, la Commission européenne publie un classement annuel (European Innovation Scoreboard), fondé sur une trentaine d'indicateurs (intégrant R & D, brevets, emplois, création de richesse). Selon cette méthodologie, la France arrive au 11e rang de l'UE, sensiblement derrière le groupe des leaders (Allemagne, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Scandinavie).
Mais ces comparaisons européennes servent surtout à taquiner une susceptibilité un peu vaine entre voisins, le vrai problème étant d'un autre ordre : l'Europe n'est pas une « start-up continent » et ne peut jouer à former des acronymes étranges avec le nom de ses licornes, pour espérer affronter les Gafa et autres BATX.