Posté le 25/02/2016 par Bernard Guillochon

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La chute des Bourses mondiales en ce début d’année 2016 fait resurgir le spectre d’une  nouvelle crise comparable à celle de 2008. Aucun économiste n’est vraiment capable actuellement de prévoir ce qui peut advenir  dans  l’année qui vient et la baisse actuelle des cours d’actions n’est peut-être  que le signe d’un ajustement limité, révélateur d’une prise de conscience par la sphère financière d’une mutation plus profonde de l’économie réelle. On ne peut exclure néanmoins un effondrement brutal (un krach) semblable  à ceux qui jalonnent  l’histoire du capitalisme et qu’on ne peut plus alors qualifier de simples ajustements de marché. Que les Bourses se stabilisent ou qu’elles connaissent un épisode de chute profonde, la situation de l’économie réelle contemporaine est inédite à beaucoup d’égards, à la fois sur le plan  technologique et d’un point de vue géostratégique.  

Technologiquement d’abord, car le passage  vers un mode de production nouveau, fondé sur le numérique, la collecte d’informations, la valorisation du consommateur,  les objets connectés et la transition énergétique, intensifie la concurrence, supprime des quantités élevées d’emplois (surtout dans les pays développés), ouvre de nouveaux marchés et contraint les entreprises et les salariés à s’adapter constamment. Cette difficile transition, le fameuse « destruction créatrice » de Joseph Schumpeter, se traduit pour l’instant par une  croissance ralentie, ce qui peut s’expliquer par des gains  de productivités moindres et par l’apparition d’un volant élevé de sous-emploi, du fait que les postes de travail créés par les nouvelles activités ne remplacent pas nécessairement et automatiquement  ceux qui disparaissent dans les secteurs manufacturiers traditionnels.  

De plus, malgré une épargne  abondante au niveau mondial, les investisseurs,  qui  détestent par-dessus tout l’incertitude, revoient leurs anticipations à la baisse. Le monde traverse  une  période de particulière grande incertitude, non seulement en raison du manque de visibilité dans la transition technologique, comme nous venons de l’évoquer, mais aussi du fait du contexte géopolitique. Celui-ci n’a sans doute jamais été aussi troublé depuis  la fin de la Guerre froide. Le sort incertain de la Syrie, la guerre contre Daesh, la décision des États-Unis d’exporter du pétrole-après une interdiction qui a duré quarante ans-, la possibilité pour l’Iran de devenir exportateur d’or noir, l’attitude de l’Arabie saoudite, la volonté de la Russie de retrouver une place sur la scène internationale, autant de facteurs qui expliquent  la frilosité  des entreprises et les secousses sur les marchés financiers. Faut-il tabler sur une possibilité de rebond de l’économie mondiale du fait que les pays gros  consommateurs de pétrole  peuvent acheter leur énergie moins chère, ou faut-il penser a contrario  que les pertes subies par certains gros  exportateurs (notamment la Russie et certains  pays africains) vont tirer l’activité mondiale vers le bas ? C’est bien plutôt la seconde hypothèse qui est privilégiée actuellement par le FMI et par la Banque mondiale, comme en témoignent  leurs chiffres sur les prévisions de croissance pour les trois années à venir.  

L’avenir de la Chine, deuxième puissance économique, avec 18% du PIB mondial en 2014 et 14% des exportations mondiales, est un élément supplémentaire et combien important d’incertitude. On sait que les responsables  chinois souhaitent transformer le modèle de développement de leur pays pour en faire une économie moins dépendante des exportations, plus centrée sur la demande intérieure et moins inégalitaire. Mais cette  transition s’avère difficile et les réactions négatives des marchés financiers chinois depuis l’été 2015 révèlent un manque de confiance des investisseurs, nationaux et  étrangers, et une absence de ligne claire de la part des autorités, en particulier de la Banque centrale de Chine. La réduction du taux de croissance annuel  (qui reste néanmoins situé entre 6% et 7% dans les prévisions de 2016 à  2018) est perçu comme le signe de grandes difficultés à venir, non seulement pour la Chine elle-même mais aussi pour le monde entier, la demande chinoise élevée ayant empêché  la croissance mondiale de s’effondrer plus, pendant la période 2009-2013. Le doute sur la santé de l’économie chinoise se traduit aussi  par la baisse du yuan, dont la chute par rapport au dollar (d’environ 5% entre janvier 2015 et février 2016) est limitée par les interventions massives de la Banque centrale chinoise, dont les réserves en devises sont passées de 4000 milliards de dollars en juin 2014 à 3230 milliards actuellement. Si ces interventions n’avaient  pas lieu la chute du yuan  serait probablement d’au moins 30% ce qui menacerait fortement les exportations des Etats-Unis et de l’Europe. Mais la perte de ces 770 milliards de dollars de réserves est évidemment interprétée comme un signe de faiblesse, précurseur d’une crise de confiance prolongée sur la santé de l’économie chinoise.

Ainsi le fameux « alignement des planètes » (faible prix du pétrole, faibles taux d’intérêt et faible niveau de l’euro) présenté il y a quelques mois comme le remède inespéré aux maux de la zone euro, s’avère insuffisant voire contreproductif, dans la perspective d’une reprise européenne,  d’autres facteurs négatifs, économiques et géopolitiques, venant affecter la croissance mondiale, dont le ralentissement affecte plus particulièrement  une Europe convalescente, donc fragile.