Posté le 13/11/2015 par Lionel Garreau

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Les cours de stratégie évoluent. Depuis plus de 20 ans, notre équipe enseignait la stratégie selon les modalités « classiques Â» à un public de Master 1 (ancienne MSG – Maîtrise en Sciences de Gestion) représentant environ 550 étudiants par an ; le cours était basé sur les fondements Porteriens de l’économie industrielle, et fondé sur l’utilisation de grille de lecture telles que les groupe stratégiques, les 5 forces de Porter, la chaine de valeur, les stratégies génériques, les matrices de portefeuilles, etc. Sans cesse actualisés par des exemples récents et des nouvelles manÅ“uvres stratégiques, les cours en petit groupe nous permettaient de pouvoir traiter de la stratégie de toute entreprise au travers d’un canevas standardisé déployable dans toute situation.

L’équipe de stratégie a décidé cette année de modifier son approche. Les fondamentaux de la stratégie ont été basculés en Licence et donc traités une année plus tôt ; et les cours de Master 1 proposent une vision de la stratégie à un niveau avancé. Dès lors, le nouveau cours propose aux étudiants d’aborder diverses perspectives en stratégie : espace stratégique pertinent, écosystèmes d’affaires, business model, agilité stratégique, stratégies de rupture, stratégies Bottom of the Pyramid, pratiques de la stratégie, gouvernance et RSE, etc. 

Chaque séance propose ainsi un angle d’analyse sur la stratégie des entreprises. Pour cela, nous leur faisons lire des articles de recherche issus des revues telles que la Revue Française de Gestion, Long Range Planning, Harvard Business Review, M@n@gement, etc. Ces séances sont également étayées par nos productions internes permettant à nos étudiants de leur montrer aussi nos productions académiques. Chaque perspective théorique est nécessairement partielle, et ne peut pas être considérée comme un canevas standard. Les étudiants doivent alors confronter les différentes grilles de lecture et être en mesure de mieux les jauger avant d’entreprendre un dossier d’analyse stratégique par équipe de 4-5 étudiants.

Ce dossier d’analyse stratégique leur sert de fil conducteur au cours des 12 séances. Ils doivent identifier une situation stratégique pour une entreprise, formuler une problématique, puis analyser la situation et répondre à la question avec une recommandation. Dès lors, il est nécessaire peur eux de sélectionner les perspectives (concepts, modèles, théories) qui leur permettent de traiter le cas de façon convaincante. Un groupe, cette année, a choisi de traiter le cas de La Banque Postale. Pendant 6 séances, ce groupe avait des difficultés car les concepts que nous abordions (espace stratégique pertinent, chaine globale de valeur, business model, agilité stratégique, hypercompétition, stratégie d’évitement, etc.) ne leur permettait pas d’étudier cette entreprise de façon satisfaisante : aucune de ces approches ne semblait à même de rendre compte de façon pertinente de la stratégie utilisée par La Banque Postale Poste pour se développer. Lors de la séance 7, nous avons abordé les stratégies disruptives. Le groupe d’étudiants a alors vu de quelle façon cette grille pouvait rendre compte de la stratégie de La Banque Postale. Leur inquiétude est alors retombée et ils ont pu utiliser cette perspective pour approfondir leur analyse et analyser de façon précise les ressorts du succès de la stratégie de La Banque Postale. 

C’est notamment lors de cette séance que je me suis rendu compte de la différence engendrée chez nos étudiants de la façon de délivrer le cours de stratégie. En effet, il n’est ici pas question de leur fournir un canevas standard, utilisable dans toutes circonstances et sur un très grand nombre d’entreprises. Il est question d’enrichir les perspectives au travers desquelles les étudiants – et donc les futurs praticiens – peuvent analyser une situation. Ils développent alors une sensibilité à la maîtrise des grilles de lecture car ils voient clairement que l’accumulation des perspectives leur permet in fine de gagner en force d’analyse : en fonction des problèmes stratégiques rencontrés par les entreprises, certaines grilles sont difficilement utilisables, d’autres permettent d’éclairer les problèmes de façon très pertinente. 

Et c’est donc en balayant les différentes perspectives, en accumulant les connaissances, que le futur praticien développera des analyses plus fines. Nos étudiants sortent ainsi de l’idée selon laquelle il « suffit Â» de mener une analyse stratégique (à la Porter…) pour faire de la stratégie mais font l’expérience que chaque problème stratégique peut être analysé selon une perspective particulière et génère donc des voies stratégiques qui sont en cohérence avec les perspectives utilisées. Il font aussi l’expérience que selon l’optique choisie, les actions stratégiques à mener peuvent être différentes, mais tout aussi pertinentes. Ils font ainsi l’expérience de la force performative des théories en stratégie et voient que la structuration des idées et du discours a une influence non négligeable sur les actions mises en Å“uvre par les dirigeants des entreprises.

Le retour des étudiants est particulièrement positif depuis les modifications apportées à ce cours. Ils ont ainsi le sentiment de développer des connaissances, de proposer un point de vue singulier sur la stratégie des entreprises qu’ils étudient, et se sentent stimulés par un apport conceptuel qui « colle Â» aux préoccupations des entreprises. Ici, le couple théorie / étude de cas pratiques donne toute sa puissance. On entre ainsi dans l’apprentissage par l’action (learning by doing) sans délaisser l’apport conceptuel dont l’université ne saurait se défaire.