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L'Afrique : le continent d'avenir ?
Retour sur la table-ronde co-organisée par la Chaire Intelligence Economique et Stratégie des Organisations (IESO) et le Cercle Géopolitique le 16 avril 2013
Pour la dernière intervention du cycle 2012-2013, le Cercle Géopolitique a organisé le mardi 16 avril, en partenariat avec la Chaire Intelligence Economique et Stratégie des Organisations de la Fondation Dauphine, une table ronde sur les perspectives de développement de l’Afrique en matière économique, politique et sociétale. « L’Afrique : le continent d’avenir ? » telle était la difficile question à laquelle ont tenté de répondre les invités des directeurs scientifiques Stéphanie Dameron (Chaire Intelligence Economique et Stratégie des Organisations) et Bernard Guillochon (Cercle Géopolitique) : Philippe Chalmin, Professeur d’histoire économique à l’Université Paris-Dauphine, René Cazetien, Directeur des Opérations en charge de l'accès aux soins de l’entreprise SANOFI, Philippe Hugon, Directeur de recherche à l’Institut de Recherches Internationales et Stratégiques et Momar Nguer, Directeur Afrique Moyen-Orient de la branche « Marketing & Services » de l’entreprise TOTAL.
1. Une Afrique ou des Afrique ?
C’est Philippe Hugon qui a ouvert la table ronde pour réponde à cette première question. Pour lui, l’Afrique est plurielle. C’est un continent contrasté mais ses perceptions le sont aussi. Les pessimistes perçoivent l’Afrique comme un continent de tous les maux (guerres, épidémies, famines) tandis que les plus optimistes verront une réalité de terrain plus nuancée. L’Afrique est « une » d’une certaine manière parce que c’est d’abord un continent et qu’il y a beaucoup d’éléments qui peuvent la définir à elle seule, par son histoire ou la colonisation par exemple. Elle reste fortement contrastée cependant, notamment grâce à des différences qui sont culturelles. La plus grosse difficulté rencontrée lorsqu’on analyse l’Afrique est la tendance à privilégier des exemples que l’on croit représentatifs, alors que sur le terrain on peut directement observer les contre-exemples.
Reste une grande question celle du Sahara, qui, de fait, est moins une barrière séparant deux Afriques qui s’ignoreraient qu’un lieu d’échange historique entre des deux parties du continent. Or l’enjeu est que l’Afrique septentrionale est considérée, par l’Union européenne ou les organisations internationales, comme membre du monde arabo-musulman ou du Proche et Moyen-Orient (Maghreb et Machrek). Il y a donc, dans cette perception extérieure, une distinction avec l’Afrique subsaharienne. La perception de l’Afrique est donc une question majeure. L’histoire qu’écrit l’Afrique est une réactualisation de son passé, puisqu’elle a eu des relations anciennes avec plusieurs pôles régionaux, à la fois l’Europe (ce qui fait d’ailleurs son unité), mais aussi l’Asie, en particulier avec l’Afrique de l’Est, ou encore le monde arabe. La vision des relations extérieures de l’Afrique reste très européano-centrée alors que la réalité de son histoire révèle des relations bien plus diversifiées. On peut rappeler à cet égard qu’une carte complète du continent avait déjà été réalisée par les Chinois en 1389 !
Pour René Cazotien, on peut en effet trouver des arguments en faveur des deux thèses Ainsi on peut distinguer une Afrique francophone et une anglophone… On peut aussi opposer une Afrique développée face à une Afrique moins développée. Ainsi, lorsqu’on regarde aujourd’hui l’Afrique de manière segmentée, on se réfère à une approche « économique », ciblée sur le développement. Mais d’un point de vue strictement macroéconomique, l’Afrique est en plein développement et donc « une ». D’un point de vue plus anthropologique, il est essentiel de retenir que l’approche du temps par exemple, est très différente d’une approche européenne. Le temps n’est pas perçu de la même manière et la perception de l’Afrique en fait un élément d’unité. Ce genre de différence avec l’Europe est quelque chose à retenir, notamment par les entreprises qui ne peuvent prendre leur décision d’investissement en Afrique à partir de la simple comparaison des résultats avec ceux qu’on pourrait obtenir en Asie par exemple. L’approche que peuvent adopter les entreprises en Afrique ne peut donc pas se contenter d’être économique et doit être également anthropologique.
Philippe Chalmin n’est pas du tout d’accord avec la vision optimiste d’un continent en plein essor. De plus il pense que les éléments de différenciation au sein du continent restent très importants. Certes, l’Afrique est un espace géographique unique, mais d’après lui, la seule chose commune est ce passé de colonisation (à l’exception peut-être de l’Ethiopie), suivi d’un accès à l’indépendance dans les années cinquante.
On peut déjà faire une distinction entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne : le Sahara sépare plus qu’il n’unit. D’ailleurs, lorsque le Fonds Monétaire International fait des statistiques sur le contiennent, il distingue bien le Maghreb de l’Afrique subsaharienne. Il faut donc bien faire une différence entre ces deux parties du continent. Ensuite, dans l’Afrique subsaharienne, le siècle de colonisation a laissé des modèles et un héritage différents qui peuvent s’observer aujourd’hui dans l’éducation ou la formation des élites par exemple (francophone/anglophone). L’afro-optimiste est à la mode d’après Philippe Chalmin. Mais il faut cependant être prudent. Il distingue l’Afrique du pétrole et celui de la mine, l’Afrique de la mine restant d’après lui un ensemble qui continue de subir la malédiction des matières premières. Même l’approche « macro économiste » est donc à nuancer. Enfin il ne faut pas oublier que le continent a le record du monde en termes d’instabilité politique. Se référant au célèbre ouvrage de René Dumont L’Afrique noire est mal partie ! paru dans les années 1960 Philippe Chalmin, affirme qu’elle reste toujours mal partie, à quelques exceptions près.
Momar Nguer s’oppose aux affirmations de Philippe Chalmin. Ce passé de colonisé est d’après lui ce qui fait le fondement de l’Afrique. Il ne faut jamais oublier ce passé qui unit les Africains. Ainsi, le rapport avec la Chine et l’Inde n’est pas du tout neutre et est resté lié à la conférence de Bandung (1956) où s’exprime une forme d’unité entre toutes ces régions, rassemblées par leur passé commun de colonisés. Lorsqu’on parle des Africains en les comparant aux Européens, on distingue toujours dans les Européens les Français, les Allemands, les Anglais… alors que les Africains, quels qu’ils soient, demeurent, aux yeux des Européens, « des Africains », quelle que soit leur nationalité. Pour M. Nguer, le regard porté sur lui par les autres est ressenti comme un regard porté sur tous les Africains. Après 30 ans de carrière, il a pu remarquer qu’après chaque coup d’état ou mauvaise gouvernance qui avait lieu dans un pays africain, le regard qu’on lui portait était accusateur, du fait de cet amalgame.
Dans les facteurs de différenciation, M. Nguer est d’accord avec M. Cazetien sur la distinction entre les héritages de culture francophone et anglophone, une différence qui se retrouve surtout d’après lui dans l’Etat et le rapport à l’Etat. Par exemple, dans les états francophones, les contentieux des entreprises envers l’Etat sont presque inenvisageables (« Etat fort » et jacobin) alors que ces contentieux existent dans l’Afrique anglophone. De même, on trouvera une école publique gratuite dans l’Afrique francophone, mais de mauvaise qualité, tandis que du côté anglophone, elle sera payante mais de meilleure qualité (comme à Nairobi au Kenya par exemple). Cela se traduit notamment dans le fait que le recrutement des entreprises françaises en Afrique reste axé sur des personnes formées en France, tandis que les entreprises étrangères ont tendance à recruter des Africains anglophones formés sur place.
2. Les acteurs du développement
Avant de parler des acteurs du développement, René Cazetien a d’abord souhaité revenir la première question : on remarque qu’il existe plus de difficultés dans les pays francophones qu’anglophones.
Concernant les acteurs de développement, la démographie reste un facteur important : dans le futur, on attend une progression qui devrait permettre d’atteindre une population de 1,4 milliard d’habitants, ce qui pose des défis à relever (par exemple comment nourrir cette population ?). Cette croissance démographique fait partie de sa croissance économique. L’Afrique est un énorme consommateur, avec une croissance à deux points, et pourtant elle manque de beaucoup de choses, comme l’accès aux médicaments par exemple. Les besoins nouveaux à satisfaire constituent un puissant facteur de croissance. Ainsi, il y a quelques années encore, on ne pouvait pas téléphoner. Aujourd’hui, le téléphone mobile est utilisé partout et dans tous les domaines, y compris médical. Ces besoins satisfaits vont faire que l’Afrique va rechercher son développement. Au fond, il y a en Afrique un énorme potentiel de croissance par la demande.
Momar Nguer est d’accord avec le fait que la demande constitue un puissant facteur de croissance. Il souhaite par ailleurs répondre à Philippe Chalmin sur la question du développement par les matières premières. Il veut souligner qu’un pays n’a pas besoin d’avoir des matières premières pour être mal gouverné. La Guinée et la Ghana sont par exemple mal gouvernés tandis que le Burkina Faso possède des réserves en or, et, néanmoins, s’en sort plutôt bien. M. Nguer n’est également pas d’accord avec P. Chalmin sur le fait que le Maroc serait un modèle. Il préfère le Nigéria d’aujourd’hui, notamment en raison de son université de bonne qualité et en raison de l’émergence d’une classe d’hommes d’affaires.
Concernant les acteurs essentiels aujourd’hui, M. Nguer insiste sur le rôle du téléphone qui est par exemple utilisé pour empêcher le trucage des élections, ce qui a fondamentalement changé l’Afrique en permettant que se forme une opinion publique vigilante, gage de démocratie. Le téléphone a aussi fortement transformé la manière dont les entreprises travaillent en Afrique. Deuxième acteur important : la jeunesse, qui représente près des deux tiers de la population. Si cette jeunesse constitue un facteur de croissance incontestable, il faut aussi se poser la question de sa formation. Car que va-t-on faire de ces gens-là ? Par exemple, quelle place dans la société va-t-on offrir aux 80 000 étudiants en Lettres de l’Université de Dakar ? Il va falloir leur trouver des emplois, et les industries extractives ne sont pas des industries qui font des emplois.
Bernard Guillochon souligne après ces interventions que bizarrement les interventions se réfèrent peu aux entreprises, y compris de la part des cadres d’entreprise invités à cette table-ronde, et qu’il est plutôt question d’acteurs de la société civile ou de gouvernants.
Philippe Hugon intervient en revenant sur la question des matières premières. On peut remarquer, d’après lui, que le taux de croissance est le même dans les pays, qu’ils soient producteurs de matières premières ou non. On voit aussi que les secteurs les plus dynamiques correspondent à la distribution, aux nouvelles technologies, à un certain nombre d’activités financières.
Un élément nouveau et tout aussi important est la montée des classes moyennes, qui a pris de plus en plus de poids en Afrique. Autres élément essentiel, l’urbanisation puisqu’actuellement la population urbaine se rapproche de la population rurale. Même si cela crée des tensions et des violences, on constate quand même de grands progrès en termes de niveau de vie moyen. De même, aujourd’hui 30% de la population possède un téléphone portable, ce qui change beaucoup de choses, en permettant notamment que les paysans reçoivent des informations sur les prix agricoles. On assiste aussi à l’inversion des termes de l’échange, (soit l’élévation des prix de la production agricole par rapport aux prix industriels, restés stable), un phénomène qui permet de créer du pouvoir d’achat pour beaucoup de pays où l’activité agricole reste prépondérante. Et malgré une volatilité des prix, l’augmentation de la demande fait qu’on a une augmentation des prix des matières premières en moyen terme. On observe aussi une baisse des prix des produits manufacturés, ce qui est fondamental, puisque cela permet aux classes moyennes d’accéder à plus de produits de consommation courante. Cependant, beaucoup d’éléments renvoient à une question de gouvernance, et c’est là que l’Afrique est très diversifiée. À cet égard, les conditions de la négociation de chaque pays selon les acteurs étrangers avec qui le pays est en contact. Ainsi pour les package deal avec la Chine, certains pays peuvent demander des transferts de technologie par exemple. Tout le problème est l’insertion de ces investissements étrangers dans l’économie nnationale, et les dynamiques dépendent donc des négociations menées par les états africains. Et comme nous sommes passés à des relations post coloniales où l’Europe n’est plus le premier acteur des relations, les liens sont totalement diversifiés, ce qui donne une plus grande marge de manoeuvre aux responsables politiques. Toutefois, cela ne règle pas les questions de corruption.
En résumé, la hausse de la productivité globale des facteurs et l’inversion des termes de l’échange qui engendrent du pouvoir d’achat peuvent apparaître comme des facteurs compensant les effets néfastes d’une mauvaise gestion de la rente. Philippe Chalmin est assez d’accord. Il insiste alors sur le fait que même si les entrepreneurs sont nécessaires, l’acteur économique majeur dont on oublie de parler est le paysan. Or, malgré le poids de la paysannerie dans la population africaine, l’Afrique n’est pas autosuffisante du point de vue alimentaire et là réside l’un des défis majeurs qu’elle doit relever. La chance et la place de l’Afrique sur la scène internationale est bien, pour P. Chalmin, son agriculture. L’idéal serait même pour lui d’aller jusqu’à des politiques agricoles communes comme en Europe. P. Chalmin est également partisan des IDE entrants à l’exception de ceux ayant pour objet l’accaparement des terres. Le rachat des terres par l’étranger constitue un réel danger. Idéalement on peut imaginer pour l’Afrique un enchainement vertueux, semblable à celui des révolutions industrielles européennes, avec une révolution agricole permettant une libération de bras, suivie d’une révolution industrielle.
3. Quel futur ?
Après ces diverses interventions on peut quand même distinguer et dégager certains atouts et points positif.
Momar Nguer fait le constat que les gouvernants sont de plus en plus responsables, et commencent à rendre des comptes ce qui est une avancée considérable. Il observe aussi la naissance des champions africains. Il se qualifie donc lui-même d’afro optimiste. On peut parler des entreprises étrangères mais on peut aussi déjà observer la naissance d’entreprises africaines qui deviennent des champions régionaux. Les préférences deviennent de plus en en plus nationales et le conseil qu’il peut donner aux entreprises étrangères aujourd’hui est de nouer des partenariats avec les entreprises locales. Par ailleurs, il voit pour l’avenir des regroupements régionaux, avec notamment 3 pôles de développement transcendant les barrières linguistiques:
- Le Nigéria et l’Afrique de l’Ouest, dépassant ainsi les barrières de langues.
- L’Afrique du Sud avec le Mozambique, le Zimbabwe, la Zambie qui pourrait aller jusqu’à comprendre la République Démocratique du Congo.
- L’Afrique de l’Est avec la Tanzanie, le Rwanda et probablement l’Ethiopie dans l’avenir
Et au fond, on peut observer que d’ores et déjà les acteurs régionaux économiques sont ceux qui se structurent autour de ces pôles.
René Cazetien est également d’accord, notamment sur la question des pôles. Mais pour lui, il ne faut pas non plus oublier l’Egypte, avec sa capitale Le Caire, qui est une mégalopole immense. Le pays a un regard sur la corne de l’Afrique, jusqu’à l’Ethiopie, le Soudan… Un des piliers fondamentaux de l’Afrique aujourd’hui est la santé. Une population en mauvaise santé est stérile. Au niveau du développement on retrouve une aide importante (5 milliards de dollars en 1990, 26 milliards aujourd’hui), les objectifs du millénaire pour le développement (« Millenium Development Goals »), et bien sûr les efforts sanitaires. A côté, un autre élément fondamental est bien sûr l’éducation. On voit de plus en plus d’Africains à la tête des filiales d’entreprises étrangères. En résumé, la santé, l’économie et l’éducation sont trois axes indispensables au développement de l’Afrique. M. Cazetien prend ainsi l’exemple de son entreprise Sanofi qui cherche le développement d’usines en Afrique pour l’Afrique.
Pour P. Chalmin, le jour où l’Afrique deviendra une zone de délocalisation pour ’Asie, on pourra observer un véritable décollage, notamment sur fond d’industrialisation. La clé du succès serait selon lui de retrouver le scénario européen marqué une révolution agricole libérant des bras au moment d’une révolution industrielle naissante. Il peut y avoir des miracles, mais ce qui inquiète Chalmin est le discours qui vise à dire que les matières premières de l’Afrique sont une chance et concourront à son développement. Pour lui, c’est beaucoup plus le handicap de l’Afrique aujourd’hui que son atout.
CONCLUSION
Philippe Hugon conclut, en notant qu’avant d’être optimiste ou pessimiste, il faut d’abord voir les nombreux défis auxquels l’Afrique va devoir faire face dans le futur : démographie, urbanisation (lié à des dynamiques endogène plus qu’à l’exode rural), environnement (pollution, réserve hydrique…) et sécurité (instabilités politiques, états de non droit, conflit armés…). La question est de savoir comment ces défis vont être relevés.
Premier constat, l’Afrique a de plus en plus de capital et ne supporte plus la dette qui avait freiné son développement. Il y a de plus en plus de financement par la diaspora, les IDE et les fondations privées. Mais le capital humain et les ressources humaines sont aussi en croissance sur le plan quantitatif et qualitatif. On a donc de nouvelles donnes.
Reste la question des ressources naturelles. L’énergie reste une des bases de la croissance. Plus directement, il y a la question de la double révolution verte (augmentation de productivité accompagnée d’un modèle plus respectueux de l’environnement) qui est centrale et qui implique des modèles spécifiques agricoles, rejoignant l’idée de politique agricole commune de Philippe Chalmin, notamment à un niveau régional. Ceci suppose des micromarchés et beaucoup de concertation et de coordination. L’avenir de l’Afrique passera également par sa montée dans l’échelle de valeur internationale. Vraisemblablement, il y a des zones économiques spéciales qui sont en train de se développer dans un certain nombre de pays. Il faut dépasser la production de produits primaires. Il existe bien évidemment des opportunités, face aux entreprises africaines qui se constituent, pour des PME étrangères et des multinationales. Il faut donc saisir ces opportunités.
Le défi ultime reste cependant de trouver des opportunités pour accueillir une population de jeunes qui est inscrite dans les structures. Les pays sont très différenciés, et cela reste un défi majeur dans tous les domaines. La question sans doute la plus importante est celle de savoir quelles sont les perspectives pour les jeunes africains en termes d’activité et de revenu.