Par Rodrigo Bandeira de Mello, Professeur à l’École de gestion de São Paulo Fondation Getulio Vargas (FGV-EAESP), Brésil

Mardi 24 janvier 2012
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Histoire

Pour comprendre les relations complexes entre l’Etat et les entreprises au Brésil, il faut revenir sur certains faits d’histoire qui ont marqué le développement de ce pays.

Le développement économique moderne du pays date des années 1930 et repose alors sur une triple alliance entre :

les entreprises internationales ;

la bourgeoisie locale (ex. du commerce du café soutenu par le gouvernement en vue de développer des industries plus traditionnelles) ;

les entreprises publiques et para publiques.

Le record d’inflation atteint dans les années 1980 (30% d’inflation par mois) a engendré une peur panique du phénomène.

Avec Lula, Président de la République fédérative du Brésil de 2003 à 2011, le pays a développé une sorte de « capitalisme d’Etat » : le gouvernement encadre le marché et met en oeuvre un certain nombre de réformes, notamment dans les domaines juridique et économique, avec le développement de « Champions Nationaux ».

Les leviers économiques du développement

L’interventionnisme de l’Etat brésilien se manifeste entre autres par le biais de sa prise de participation financière aux capitaux des entreprises brésiliennes.
Parmi les champions de l’économie brésilienne, on peut citer JBS, qui a multiplié son chiffre d’affaires par sept en trois ans grâce aux subventions étatiques ; ou encore Fibria, entreprise de cellulose, dont 31% des capitaux appartiennent à la BNDES (Brazilian Development Bank, banque nationale brésilienne). En 2011, une nouvelle politique industrielle ciblée sur des secteurs stratégiques définis a été mise en place.

D’une manière générale, les principaux investisseurs brésiliens sont les fonds de pension nationaux et la banque nationale, BNDES, dont une grande partie des fonds provient des impôts.

La présence de l’Etat dans l’économie se manifeste aussi par la mise en oeuvre de mesures protectionnistes, notamment dans des secteurs comme l’automobile, où un décret impose une augmentation de 25% du prix final des véhicules importés. Cette législation émane d’une volonté particulière de limiter la pénétration des produits chinois ou encore mexicains sur le marché automobile brésilien.

D’une manière générale, on note deux évolutions principales au cours de ces dernières années, dans le domaine économique :

le discours nationaliste tenu à l’époque par Lula a acquis un certain degré de pragmatisme et d’ouverture. Il y a une vingtaine de partis politiques au Brésil et une très forte compétition qui incite les entreprises à investir dans les secteurs politiques plus que dans leur développement industriel ;

le degré de l’alliance stratégique entre le Brésil et la Chine s’est renforcé, comme en témoigne l’augmentation des investissements chinois. La Chine est aujourd’hui le principal client-partenaire commercial du Brésil.

A ces mesures économiques des politiques publiques s’ajoute une forte imbrication des réseaux politiques et économiques.

Les leviers politico-économiques du développement

Les entreprises peuvent financer directement un candidat aux élections locales et régionales. A titre d’exemple, GDF Suez a financé une cinquantaine de candidats aux dernières élections, dont 31 ont été élus.

On observe aussi une forte représentation d’anciens hauts dignitaires de l’Etat à la tête des multinationales brésiliennes.

En termes statistiques, dans le cas d’une demande de prêt à la BNDES, le fait d'avoir financé la campagne d'une personnalité qui sera élue augmente le montant du prêt accordé de 28,2 millions, alors que le financement d'une personnalité battue réduit le montant de l'emprunt de 24,4 millions. Parallèlement, le coût de l'emprunt est réduit pour les entreprises ayant financé les vainqueurs. On observe également que les entreprises brésiliennes connectées aux hommes politiques arrivent à augmenter significativement leurs actifs à l’étranger 4 ans en moyenne après les élections.

Le lien politique se manifeste enfin par le biais d’actions plus ou moins légales d’entrave au commerce extérieur, comme l’a illustrée dernièrement la cargaison de produits Mattel, bloquée à quai pendant 40 jours sans raison valable. Il convient cependant de souligner les efforts mis en oeuvre ces dernières années par le gouvernement pour limiter la corruption.

Pour aller plus loin : BANDEIRA-DE-MELLO, R. ; MARCON, Rosilene ; ALBERTON, Anete. Perfomance Effects of stakeholder interaction in emerging economies: evidence from Brazil. BAR. Brazilian Administration Review, v. 8, p. 329-350, 2011