Posté le 26/10/2016 par Morris Habbouba

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Résumé du mémoire de Morris Habbouba - Finaliste du Prix du Meilleur Mémoire M2 2016 en Intelligence Economique et Stratégie des Organisations

Le mémoire de recherche s’est inscrit dans le cadre du cours de « Relations Etat-entreprises Â» sous la direction du Professeur Arnaud Decker, dans le Master 2 « Politique Générale et Stratégie des Organisations de l’Université Paris-Dauphine. Intitulé « La mise en Å“uvre de stratégies d’influence par l’Etat : le cas du secteur de la Défense Â», il s’intéresse aux relations entre puissance publique et entreprises de Défense. Plus spécifiquement, l’ambition est d’étudier la façon dont l’Etat parvient à influencer ces entreprises dans un contexte global d’indépendance grandissante de celles-ci.

En effet, les entreprises de Défense se diversifient à plusieurs niveaux, pouvant avoir comme conséquence une forme de perte de contrôle de l’Etat, d’autant plus fort que ce dernier se retire petit à petit de leur capital. On peut ainsi observer que les entreprises s’inscrivent dans un mouvement de diversification internationale, mais également à travers le développement des technologies civiles. De plus, elles défendent de plus en plus leurs objectifs économiques et financiers, alors que l’Etat s’inscrit parfois dans une logique différente, entre autonomie stratégique et exigences opérationnelles des forces armées. 

Dès lors, il semble que les intérêts entre puissance étatique et entreprises de Défense tendent à diverger, et qu’il semble pertinent de s’interroger sur la façon dont l’Etat peut à nouveau les faire converger. C’est en ce sens qu’il est intéressant de traiter la question de l’influence. Dans le champ du management stratégique, de nombreux travaux s’intéressent aux pratiques de lobbying, c’est-à-dire aux moyens dont les entreprises influencent les décisions étatiques. Cependant, très peu se préoccupent des démarches inverses, de l’Etat vers les entreprises. Ainsi, la problématique du mémoire est : dans quelle mesure l’Etat français peut-il mettre en Å“uvre des stratégies d’influence à destination des entreprises du secteur de la Défense ?

La revue de littérature est structurée en trois parties. Premièrement, les spécificités du secteur de la Défense sont évoquées, notamment la configuration de type monopsone, la prééminence de l’Etat et l’importance de la recherche & développement. La deuxième partie aborde plus précisément le cadre de la théorie de la dépendance en ressources, spécifiée par Pfeffer et Salancik (1979), et son adaptation aux relations Etat-entreprises de Défense. Plus particulièrement, cette théorie met au centre du jeu les relations d’interdépendances liées au contrôle des ressources critiques des organisations, et l’importance de la question du pouvoir. La dernière partie se concentre sur les stratégies d’influence génériques développées par Hillman & Hitt (1999) : stratégie de communication et d’information, stratégie d’incitations financières, stratégie de constitution d’une zone d’influence. Enfin, les ressources politiques des organisations sont évoquées, suivant la typologie mise en avant par Dahan (2005). 

La méthodologie choisie est qualitative puisqu’il s’agit d’une étude de cas unique, le secteur de la Défense français étant choisi comme terrain de recherche. Les données ont été recueillies de deux façons. D’une part, on a procédé à des entretiens semi-directifs centrés auprès de professionnels du secteur. Neuf entretiens ont ainsi été réalisés, avec des représentants de l’Etat (Commissaires du Gouvernement, CIEEMG[1], S2IE[2]) et des dirigeants d’entreprises de Défense (Airbus Group, Thalès, Safran, Eutelsat). D’autre part, des données secondaires ont été récoltées, avec les comptes rendus de la Commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée Nationale depuis 2013, des rapports du CPRA[3] et des rapports de la Cour des Comptes. 

Les résultats semblent concluants. En effet, d’un point de vue théorique est validée la théorie de la dépendance en ressources comme grille de lecture adaptée aux relations Etat-entreprises de Défense. On observe ainsi une interdépendance entre puissance publique et entreprises, une incertitude liée à la nature des programmes d’armements ainsi qu’une lutte de pouvoir entre parties et des logiques d’influence correspondant à des tentatives de maitrise de l’environnement. 

D’un point de vue empirique, les stratégies d’influence de l’Etat à destination des entreprises du secteur de la Défense sont identifiées. La stratégie d’information et de communication repose sur un dialogue permanent, l’importance des Commissaires du Gouvernement et des anciens militaires au sein des entreprises. La stratégie d’incitations financières fonctionne via les leviers de commande publique et de financement de la R&D. Enfin, la stratégie de constitution d’une zone d’influence s’intègre grâce à la régulation des exportations, le positionnement à des postes-clés des entreprises de Défense d’anciens membres de la DGA, et la mise à profit de la position et de la notoriété de la France pour exercer une influence sur les exportations. Par ailleurs, il est intéressant de noter la validation du concept de ressources politiques de l’Etat dans le but de mettre en Å“uvre les stratégies d’influence. 

Dès lors, deux prolongements peuvent être envisagés. Tout d’abord, la théorie néo-institutionnelle permet de prendre en considération l’environnement institutionnel des pays pour décrire les sources d’incertitude et de dépendance. La question de l’isomorphisme coercitif développée par DiMaggio et Powell (1983), pression imposée par la puissance étatique destinée à imposer comportements et normes communes, est alors intéressante à étudier sur la thématique de l’influence. Un second prolongement peut être envisagé vers l’industrie pharmaceutique, dont de nombreux enjeux et caractéristiques sont similaires au secteur de la Défense. En ce sens, il pourrait être intéressant d’étudier les stratégies d’influence étatiques dans ce milieu.

Pour conclure, le mémoire comporte bien évidemment certaines limites sur lesquelles il est nécessaire de revenir. Premièrement, on peut constater des limites méthodologiques liées à l’étude de cas unique qui empêche la généralisation, et nécessite une comparaison à d’autres contextes. La deuxième limite est théorique, concernant la théorie de la dépendance en ressources dont la validité a parfois été remise en question. Enfin, on peut évoquer une limite empirique avec au sens où selon certains interlocuteurs, il serait ardu de trouver une logique globale dans les tentatives d’influence de l’Etat envers les entreprises de cette industrie ; il n’y aurait que des cas particuliers, et un traitement par l’Etat au cas par cas, d’où la nécessité de confirmer les éléments mis en avant par une étude approfondie dans une seule entreprise de Défense. 

 

[1] Commission Interministérielle pour l’Etude de l’Exportation des Matériels de Guerre

[2] Service des Affaires Industrielles et de l’Intelligence Economique

[3] Comité des Prix de Revient des fabrications d’Armements