Posté le 28/04/2016 par Bernard Guillochon

28042016.jpg

Les négociations sur le  TAFTA, traité de libre échange entre les États-Unis et l’Union européenne, ont débuté en juillet 2013, dans un climat d’enthousiasme réciproque, du moins au niveau des discours officiels. Aujourd’hui le coeur n’y est plus. Le 13 ème round des pourparlers démarre le 25 avril  à New York dans un climat morose. Barak Obama souhaite qu’un accord soit trouvé avant la fin de son mandat, en novembre 2016, mais  personne n’y croit.

L’enjeu essentiel  ne porte pas sur les droits de douane, déjà nuls ou très faibles, des deux côtés, à l’exception de quelques produits agricoles dits « sensibles Â». Les questions au coeur des discussions  concernent les normes, les marchés publics et les tribunaux d’arbitrage. Chaque partie veut que ses propres normes perdurent ce qui revient à maintenir une forme de protection. Ainsi la France tient à ce que les indications  géographiques de ses produits agricoles spécifiques (camembert, roquefort) ne puissent en aucun cas être reprises, sous la même dénomination,  par les États-Unis. Elle refuse aussi l’entrée d’OGM, de viandes nourries aux activateurs de croissance ou de poulets lavés au chlore en  provenance des États-Unis. A contrario ceux-ci refusent d’ouvrir leurs marchés publics aux entreprises européennes, en particulier dans les services de transport aérien ou l’énergie.  Enfin les futurs conflits entre entreprises étrangères implantées sur le sol national et État du pays d’implantation devront être tranchés par des tribunaux d’arbitrage. Or la composition de ceux-ci est objet de discorde, les Européens redoutant que leurs décisions, si la proposition des États-Unis est retenue, ne mettent en cause les  législations nationales, en particulier  sur les conditions de travail au sein des filiales des multinationales américaines.

Si les négociations piétinent tant, c’est en grande partie à cause des opinions publiques peu enclines actuellement à accepter que produits étrangers et firmes étrangères intensifient encore une présence qu’elles jugent déjà excessive. Elles refusent donc que leurs gouvernements  renoncent  Ã  certaines barrières, jugées pleinement justifiées au regard de l’emploi et/ou de la santé publique. Côté européen, la France est dans  une position de fermeté, voulant sauvegarder son agriculture et doutant des possibilités d’ouverture réelle du marché américain. Les Allemands sont également méfiants, notamment pour ce qui concerne les futurs tribunaux, même si Angela Merkel  reste personnellement très favorable à la poursuite des discussions. Symétriquement, aux États-Unis le libre-échange est mis en cause de toute part, notamment par les candidats à l’élection présidentielle. Les quatre candidats encore en lice, Donald Trump, Ted Cruz, Bernie Sanders et Hillary Clinton sont tous opposés à la ratification par le Congrès de l’accord TPP (Transpacific Partnerschip) signé en février dernier par les États-Unis. Cet accord,  qui rassemble douze pays (dont l’Australie et le Japon) et vise à contrer en Asie la puissante Chine, est simplement perçu par ceux qui le critiquent comme la porte ouverte à une concurrence accrue des produits étrangers sur le marché américain, sans possibilité de véritable réciprocité. Dans ces conditions,  la signature d’un autre accord, même avec l’Europe, jugée a priori moins dangereuse, ne fait pas partie des priorités. Il n’est néanmoins pas invraisemblable que le(la)  futur(e)  président(e), veuille poursuivre la négociation et la faire aboutir, si l’accord apporte des gains suffisants aux États-Unis. 

Comme tout accord commercial de grande ampleur le TAFTA est donc un enjeu politique à la fois interne (être à l’écoute de son opinion publique) et externe (affirmer sa puissance). La stratégie actuelle du gouvernement français reflète bien cette double préoccupation : préserver les spécificités de notre économie et faire entendre sa voix dans les négociations pour contrer la toute puissance américaine, cette posture pouvant conduire à la rupture si nécessaire. On peut penser raisonnablement que,  dans le contexte actuel, le refus de la France de poursuivre les négociations serait bien accueilli par une grande partie de la population, bien au-delà des groupes traditionnellement hostiles au libre-échange (agriculteurs, écologistes). Et ceci est également vrai pour l’ensemble de l’Europe. Rappelons à cet égard que l’enquête menée par Eurobarometer au début des années 2000 (avant la crise de 2008) révélait que 64% des Européens considéraient que la mondialisation ne profite qu’aux grandes entreprises et pas du tout aux citoyens et 58% pensaient que la mondialisation accroît les inégalités sociales. Pour la France seule cette dernière  appréciation concerne  74%  de la population. L’accroissement du degré de libre-échange permis par un accord commercial  n’est donc pas perçu comme source de progrès par la grande majorité de la population, loin s’en faut. 

Dans ces conditions faut-il rester dans  le TAFTA ? Si la France  a choisi pour le moment d’être encore partie prenante, c’est avant tout pour affirmer sa présence au  niveau international et, plus spécifiquement,  pour rappeler sa place dans  une Union européenne, qui, par ailleurs, étale sa désunion dans la gestion de la crise migratoire. 

Mais qu’en est-il sur le strict plan économique ?  Si les effets  d’un accord de libre échange ne peuvent être vraiment mesurés qu’a posteriri,  on ne peut ignorer qu’il existe des travaux qui évaluent, à partir de modèles de simulation, les effets possibles  d’un accord futur.  Ces modèles estiment les effets sur le commerce d’une réduction des obstacles.  Les travaux du Centre d’Études prospectives et d’Informations internationales (CEPII)[1] donnent quelques indications sur le TAFTA. En supposant la suppression totale des droits de douane et la réduction de 25% des obstacles non tarifaires (normes, quotas) sur le commerce de biens et services, le CEPII montre qu’en 2025 les échanges bilatéraux entre l’UE et les États-Unis augmenteraient de 50% par rapport à la situation  sans accord. La hausse serait particulièrement élevée pour les produits agricoles, les exportations américaines vers l’Europe croissant de 170 % et celles de l’Europe vers les États-Unis de 150%. Dans l’industrie et les services les augmentations seraient plus modestes, mais plus équilibrées (environ 60% pour les deux partenaires dans  l’industrie) ou en faveur de l’Europe (hausse de 24%  pour les exportations européennes de services vers les États-Unis et de  seulement 14% pour le flux inverse). Ces effets sont loin d’être négligeables, mais, comme ils ne concernent qu’une partie du commerce de chacun (les pays de l’UE commercent principalement entre eux et non avec les États-Unis), l’impact global est plus modeste. Ainsi, pour la France, la hausse de l’ensemble de ses  exportations en 2025 (par rapport à la situation sans accord) serait de 2,6% et celle de ses importations de 2,5%. Les exportations de services et industrielles seraient augmentées  respectivement, de 3,1% et de 2,6%., mais les exportations agricoles diminueraient légèrement de 0,3%. 

Ainsi les effets nets sur le commerce français ne semblent pas très élevés et ne sont pas nécessairement  favorables pour tous. Au surplus le citoyen n’est guère armé pour apprécier le lien entre la  hausse des exportations et des  importations de son pays et son propre niveau de vie.  Le maintien ou non de la France dans les négociations du TAFTA reposera donc beaucoup plus sur des considérations  de politique à la fois intérieure et étrangère que sur la référence à des arguments strictement économiques assez difficilement « vendables Â» à une opinion publique, plutôt hostile au libre-échange. 

 

 

 

[1]  Fontagné L., J. Gourdon et S. Jean (2013), « Les enjeux économiques du partenariat transatlantique Â», La Lettre du CEPII, N° 335, 30 septembre